L’ histoire de la lentille blonde de Saint-Flour n’était déjà pas banale. Encore cultivée dans les années 1950 sur la Planèze, un plateau volcanique au pied des Monts du Cantal, elle a disparu dans les années 1960 avec la modernisation de l’agriculture. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que Pierre Jarlier, sénateur-maire de Saint-Flour, décide de la remettre au goût du jour. Il lance une recherche pour retrouver ce produit du terroir disparu. l’abbé Boussuge fait paraître une annonce dans le bulletin paroissial et l’agriculteur Gérard Cibiel, après l’avoir lue, déniche quelques lentilles dans le grenier de son grand-père. Malheureusement, elles sont trop vieilles pour être semées. l’lnra s’en mêle et fait des expérimenta tions avec des lentilles blondes issues de ses collections. Deux variétés sont retenues : la santa et la flora, mais c’est la flora qui l’emporte pour ses qualités organoleptiques, reconnues notamment par le chef étoilé Michel Bras. Petite, craquante, avec un léger goût de noisette… elle est commercialisée pour la première fois à l’occasion de la Festa del païs de Saint-Flour en 2002 et le développement de la filière est soutenu par la Chambre d’agriculture. Aujourd’hui, la lentille blonde est cultivée par une quarantaine de producteurs, en majorité des éleveurs en bovin lait qui y voient une production de diversification. l’association internationale Slow food la compte au nombre de ses «sentinelles», reconnaissant ainsi la qualité du produit et l’organisation de sa filière.
Depuis 2004, son conditionnement est assuré par les travailleurs handicapés de l’établissement et service d’aide par le travail (Ésat) de Montplain, géré par l’Association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales du Cantal (Adapei 15). Celle-ci administre aussi un chantier d’insertion par le travail pour des personnes en situation d’exclusion sociale et une entreprise adaptée, passerelle entre l’Ésat et le monde des entre prises ordinaires. C’est cette entreprise qui, contre toute attente, a racheté en 2021 la société de commercialisation de la lentille blonde. Celle-ci était jusqu’alors détenue par des agriculteurs qui approchaient de la retraite et son avenir était en suspens…
«Ce rachat nous a permis de sécuriser les 6 ou 7 emplois de travailleurs handicapés liés à la lentille blonde et de créer trois emplois en chantier d’insertion car nous avons aussi récupéré le tri des lentilles, une activité qui se pratique d’août à janvier», explique Pierre Salez, directeur des structures sanfloraines de l’Adapei 15.
Il souligne la fierté des travailleurs de l’Ésat d’être intégrés à une chaîne de valeur qui contribue à l’image du territoire : alors que
«les travailleurs en Ésat sont souvent utilisés pour de la sous-traitance industrielle […], là ils se sentent vraiment partie prenante d’un maillage social et économique et à table, ils sont fiers de dire c’est un peu grâce à eux si on mange de la bonne lentille». Autre avantage à cette transaction surprenante : «La lentille blonde, qui avait déjà une image très positive, slow food, et qui bénéficiera bientôt, on l’espère, d’une AOP, y a acquis une dimension sociale. » Mais les grands gagnants sont sans doute les travailleurs handicapés et en insertion, ces personnes «extra-ordinaires» comme les appelle Pierre Salez, sur lesquels le regard a changé. «Ce projet a mis en lumière le fait qu’ils étaient capables de tra vailler sur une chaîne de production. Très vite, cela a intéressé plusieurs entrepreneurs locaux dont une fabrique de maroquinerie de luxe qui travaille pour Louis Vuitton. On a aujourd’hui six travailleurs qui y sont employés.»
Une augmentation du nombre de producteurs de lentilles blondes sur la Planèze serait bienvenue, pour répondre à une de mande grandissante. Par ailleurs, l’Adapei réfléchit à créer une activité de meunerie pour produire de la farine de lentilles de Saint-Flour. Et pourquoi pas d’autres produits dérivés, comme la bière ou le confit, et allonger ainsi cette chaîne de valeur vertueuse?